Criminalités diversifiées en État policier
Bonjour les Êtres humains !
Avant tout, il faut que je vous
fasse une confidence : je n’aime pas les forces de l’ordre ! Je ne
sais pas pourquoi, mais c’est comme ça depuis ma plus tendre enfance, je ne me
suis jamais senti à l’aise en présence d’un homme en uniforme vert. Je crois que
le coup de matraque que l’un d’eux m’assena sur le crâne lorsque j’étais au
lycée, me confondant à des étudiants qui manifestaient pour leurs bourses, n’a
pas été pour améliorer mon rapport avec ces hommes. Ceci dit, je tente toujours
de me tenir le plus loin possible des endroits où je suis sûr de les
rencontrer : commissariats, gendarmeries, casernes, camps, etc. Mais
depuis que je suis arrivé à Libreville, j’ai bien l’impression que ce procédé
d’éloignement n’est plus suffisant. Je vous explique : dès la nuit de mon
arrivée à l’aéroport de Libreville, j’étais déjà très surpris du nombre de
véhicules blindés en stationnement dans quelques coins de la ville, tout au
long du trajet vers la maison familial. « Que se passe-t-il ? Il y a
un évènement important qui nécessite cette présence ? » Ai-je demandé
à mon père. Il me répondit tranquillement que c’est comme cela tous les jours
et que je finirais par m’y habituer. « M’habituer à voir des canons de
fusils qui ne devraient être exhiber qu’en cas de nécessité ? Je ne suis
pas trop sûr ! » Ai-je pensé. En tout cas, je ne me sentirais pas
très bien à chaque fois que je tomberais sur un de ces véhicules. Malheureusement,
quelques jours plus tard, lors de ma première sortie dans la capitale
gabonaise, depuis un peu plus de cinq ans, je compris que ce sera à chaque fois
que je mettrai le nez dehors que je ne me sentirai pas très bien car, en
me baladant dans les rues de Libreville, j’eus l’impression d’être dans une
cité martiale ! Plus de la moitié des personnes que vous croisez portent
un uniforme, soit de la police, de la gendarmerie, ou d’une des composantes de
la grande muette. De plus, depuis mon retour au Gabon, je suis assez étonné de
voir le nombre de mes jeunes cousins, voisins et amis, qui ont décidé de s’engager.
Rien que dans ma famille, mes deux mains ne suffiraient pas pour les
compter !
Ne voulant pas jouer les
pessimistes et les empêcheurs de traîner des bottes en paix, j’ai interrogé
quelques personnes dans mon entourage, pour savoir ce qu’ils pensent de cette
situation et surtout, comment on en est arrivé là. Les avis sont très partagés,
mais ce que j’entends le plus, que ce soit des désapprobateurs que de ceux qui
encouragent cet état de faits, c’est que cela procure de l’emploi pour la
jeunesse. Il faut dire que, ces dernières années, les ministères qui recrutent
les plus sont celui de l’éducation nationale, celui de l’intérieur et plus
encore, celui de la défense. Pour tous les autres nouveaux agents de la
fonction publique gabonaise, être intégré et pouvoir toucher son salaire relève
toujours du chemin de croix (il faut parfois attendre plus de deux ans avant de
jouir de ces émoluments), tandis que pour nos jeunes officiers et agents,
fraîchement tondus au camp de formation, il ne suffit que de quelques semaines
pour qu’ils puissent commencer à toucher leur paie. D’ailleurs, ils sont les
plus choyés du pays, avec des salaires qui les rangent au niveau minimal de
cadre moyen. De plus, ils n’ont quasiment jamais de problèmes de retard de
paiement, comme cela peut souvent arriver pour les enseignants ou les médecins.
Bref, les motivations pour s’engager sont ce qui manque le moins ! À vous
dire vrai, vus tous ces avantages, sans compter ceux que je ne connais même
pas, je me serai bien engagé, moi aussi, si je n’avais pas horreur de recevoir
des ordres et de devoir courber l’échine… On peut tout de même dire que cet
accroissement rapide des effectifs des forces de l’ordres au Gabon a un aspect
positif : je n’ai, par exemple, pas pu rester de marbre devant la joie de
ma tante, le weekend dernier, qui a chanté et dansé pour accueillir son fils
de dix-neuf ans, de retour de formation. Mais, mon souci principal, la question
qui me turlupine l’esprit, en voyant mon jeune cousin, aussi frêle qu’une
brindille, dans son uniforme gris et ses bottes serrées, c’est de savoir à quoi
servent réellement ces jeunes ? À quoi sont-ils vraiment employés ?
J’entends déjà certains me
dire : « mais Engo, à quoi veux-tu qu’ils servent d’autre, si ce
n’est le maintien de la paix, de la sécurité et de l’ordre dans notre beau
pays ? » Je sais bien que là est leur mission première, certes bien
noble. Mais je vous assure qu’en un peu plus d’un mois, j’ai vu des choses qui
me font croire qu’ils reçoivent des ordres qui dévient de la normale et qui les
font faillir à leur tâche. Jugez-en par vous-même ! La semaine dernière,
plus précisément le vendredi 16 octobre dernier, en rentrant de mon stage, à la
Direction générale de l’environnement, sise aux Ministère des eaux et forêts,
sur le Boulevard triomphale, j’ai été assez surpris de voir, presqu’à tous les
dix mètres, un jeune fantassin, l’arme serrée contre le torse, le regard vif.
« Vu ce déploiement, le président doit sûrement emprunter cette voie
aujourd’hui » a commenté quelqu’un dans le taxi, comme pour répondre à mon
interrogation non dite. Ont-ils besoin d’être 100 au kilomètre carré pour
sécuriser le passage du Président dans un bolide blindé, et qui roule à vive
allure ? Quelques centaines de mètres plus loin, au carrefour dit de
« l’ancienne SOBRAGA », un embouteillage monstre nous
accueilli : des gendarmes y avaient érigé, de chaque côté de la route, un
poste de contrôle et arrêtaient une grande partie des véhicules, pour effectuer
le contrôle des papiers. À moins de dix mètres de là, un premier véhicule
blindé, couronné d’une mitraillette, était garé sur le bord de la voie. « Ah !
Il doit se rendre à l’Université, le président ! », s’est rappelé le
chauffeur du taxi. Ainsi donc, voilà la
véritable raison de toute cette agitation ! Mais, est-ce vraiment
nécessaire, tout cet étalage d’arsenal et de forces armées ? Je descendis
à quelques mètres de l’entrée de l’université, et m’engageai sur l’artère lui
faisant face. Là, je tombe nez-à-nez avec un véhicule de type 4x4, toute vitres
ouvertes, mais avec un matériel de communication digne des voitures de la CIA.
Au volant, un homme de type caucasien portant un uniforme de l’armée française,
en plein transmission radio. Le jeune homme qui marchait à côté de moi, et qui
s’était lui aussi penché vers le véhicule pour bien en admirer l’intérieur, me
regarde, aussi abasourdi que moi. Nous n’avons pas le temps de commencer à
commenter ce que nous venons de voir que nous nous retrouvons face à un autre
véhicule blindé coiffé d’une mitraillette, et entouré de quelques soldats
gabonais, armes à la main. À quelques pas de là, plus libres de nos propos, le
jeune homme me demande si tout cela est bien nécessaire. Avant que je ne puisse
lui répondre, une jeune étudiante, sortant de l’École normale voisine, nous
apostrophe en voyant, de loin, le blindé : « Bonjour mes
frères ! Que s’est-il passé ? Les étudiants de l’UOB (Université Omar
Bongo) sont-ils encore entrés en grève ? Un mouvement de manifestation de
l’opposition ? Qu’est ce qui ne va pas encore ? » Nous la
rassurons qu’il n’y a pas de quoi s’inquiéter, que c’est juste le président qui
vient rendre visite aux étudiants. « Voilà à quoi sert tout cet
arsenal : à plonger les populations dans la peur, la crainte du pouvoir,
comme si celui-ci en avait besoin… »
J’aimerais, cher amis, que vous
jugiez aussi de ceci : le mardi 13 octobre dernier, tandis que je tentais
de prendre un taxi sur le boulevard triomphal, à la sortie de mon stage, trois
de ces grosses motos BMW aux couleurs de la gendarmerie vinrent obstruer
l’intersection face à laquelle je me trouvais. Ils furent suivis par trois
autres, derrière lesquels venaient, un cortège de trois véhicules : en
tête, un 4x4 roulant à vive allure, et en serre-fil, un de ces camions verts
qui servent à transporter les soldats, et dans lequel des jeunes en uniforme
brandissaient les canons de leurs armes vers les trottoirs bondés de monde, à
cette heure de sortie des bureaux. Entre les deux véhicules, se trouvait une
sorte de fourgon, peint en blanc et rouge, et sur les portières duquel on
pouvait aisément lire le nom de l’entreprise Bolloré. Les trois voitures
étaient suivies d’un autre lot de motards de la gendarmerie, tous gyrophares et
toutes sirènes allumés. Alors, la question que je suis posé est la
suivante : tous ces jeunes qui pointent leurs armes sur leurs frères et
sœurs Gabonais, en pleine route, ont-ils été engagés pour escorter l’argent de
Bolloré ? Est-ce vraiment ce à quoi ils doivent nous servir ? Ne
devraient-ils pas lutter contre la criminalité et l’insécurité qui minent chaque
jour notre nation ?
Parce que ces deux fléaux n’ont
pas manqués de m’interpeller, eux aussi ! En l’espace d’un mois, on a
retrouvé un corps de jeune femme décapité dans les environs du Quartier Pleine
Orety, et un mari jaloux s’est servi de deux armes pour abattre l’amant de sa
femme et manquer de tuer cette dernière ! Et les faits divers qui parlent
de tuerie à la poudre à canon sont légion ces derniers mois ! Je ne parle
même pas des crimes dits « rituels », qui sont devenus si banals
qu’on en parle même plus, malgré le flot continu de sang de jeunes hommes et
femmes, adultes et enfants, dont les organes sont vendus au marché noir ! Je
ne parle pas, non plus, des braquages qui sont le quotidien de quartiers comme
Derrière l’École Normale Supérieure, où je vis. Ces quartiers où vous ne verrez
jamais patrouiller un seul policier, et où ce sont les jeunes délinquants qui
font la loi à partir d’une heure du matin…
Je veux bien qu’on donne du
travail aux jeunes, qu’on cherche à sécuriser le pays, mais, je ne peux
m’empêcher de me poser ces questions qui découlent du constat dont je viens de
vous faire part : Pourquoi faire de la Grande Muette le premier recruteur
de la Nation ? Que voire derrière ces enrôlements massifs ? À quoi
servent tous ces agents en uniforme ? Quel est concrètement leur apport
pour la nation ? Comment expliquer que, malgré cela, la criminalité ne
cesse de croitre ? Pourquoi faire étalage de toutes ces armes
ambulantes ? Que craint-on ? Que défend-t-on réellement : les
populations, les institutions, les intérêts de privilégiés ou celles d’entreprises
étrangères ? Qui veut-on effrayer ?
Oui, effrayer, car c’est bien la réaction que la vue de toutes ces armes et de
tous ces uniformes provoque, et pas seulement chez moi. Souvenez-vous de cette
jeune femme qui a vu le blindé garé près de l’université : « mon frère,
que se passe-t-il ? Il y a des évènements graves qui se sont passés à
l’UOB ? Les étudiants manifestent encore ? » Je ne sais pas pour
vous, mais moi, la vue de tous ces uniformes, de toutes ces armes protées en
bandoulière aux carrefours, ou fixés sur des véhicules de guerre qui se
baladent dans notre capitale me mettent dans un état de stress, voire de
psychose permanente ! Parce que j’ai souvent, en les voyant, cette
citation entendue quelque part qui me revient à l’esprit : « une
arme, c’est fait pour servir, et quand on la sort, elle finit toujours par
servir ». Gageons, dans notre contexte, que ce ne soient que des paroles
en l’air !
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