Et toi Engo, tu es quoi?
Bonjour les Êtres humains !
Il y a souvent, dans la vie
courante, des mots, des phrases, des expressions que l’on déteste viscéralement.
Pour moi, il s’agit d’une question que j’ai souvent entendu depuis de
nombreuses années, et que je redoute à chaque fois que je rencontre un inconnu :
« Tu es quoi ? »
Remarquez bien (je ne sais pas
si, sur les autres continents, cette formulation spécifique est employée) :
où que vous soyez, en Afrique Centrale ou de l’Ouest, on vous demande toujours : « tu
es quoi ? » Pas : « tu viens d’où, tu es originaire de quel
pays, tu es de quelle ethnie », non ! La question qu’on vous pose est
bien : « tu es quoi ? » Déjà, sur le coup, je me sens
toujours confus, parce que je ne sais pas exactement ce qu’on me demande :
mon pays d’origine, mon ethnie, ma profession, mon sexe (on ne sait jamais !)…
Encore que, selon le contexte, j’ai appris à deviner l’orientation de l’interrogation.
Comme je le disais plus haut,
cela fait de très nombreuses années que j’entends les gens atour de moi m’adresser
cette question : tu es quoi ? La première fois que je l’ai entendu,
je ne devais pas avoir plus de sept ans. C’était dans un village, près de
Bitam, dans le nord du Gabon. Ma grand-mère et moi nous-y étions rendus pour
assister à une grande cérémonie (sûrement un retrait de deuil) à laquelle
assistait des villageois venus de diverses contrées de la province. Il faut
dire que, bien que je ne su quoi répondre à cette question qui m’avait été
posée par un vieux, m’ayant trouvé en pleine dispute avec un jeune autochtone, je
la comprenais assez bien. Parce que le vieux l’avait, bien évidement, formulée
en Fang, ma langue maternelle. Et dans cet idiome, la traduction littérale de
la question est : « tu es un petit quoi ? », sous-entendu :
quelle ta tribu, celle de ta mère et ton village d’origine. Plus tard j’appris
que je devais répondre que je suis Nkodjè, que ma mère est Effak, et que je
suis du village d’Adzap N’deng Nkodjè (oui, je sais, ça fait beaucoup de noms
étranges !) Mais revenons à la question qui ME fâche… dans ce contexte
particulier, il est clair que lorsqu’un vieux, ou même un jeune Fang, vous demande
ce que vous êtes, il ne cherche rien d’autre qu’à avoir les informations qui
lui permettrait de déceler ou non une éventuelle filiation entre vous. D’ailleurs,
on nous a toujours conseillé de poser la question à une fille avec laquelle on
voulait sortir, au risque de se retrouver au lit avec une cousine plus ou moins
proche ! Là encore, je pouvais répondre sans broncher, à l’interrogation
qui nous intéresse aujourd’hui. C’est
quelques années plus tard qu’elle commença sérieusement à m’agacer.
Lorsque, à Libreville, j’obtins
mon concours d’entrée en sixième, j’eu la chance d’être orienté au Lycée d’Application
de l’E.N.S, qui deviendra plus tard le Lycée Nelson Mandela. Je me souviens qu’à
cette époque, mon jeune oncle Alexis, qui y avait appris, ne cessait de me
vanter ses mérites, assurant que c’était l’un des trois meilleurs établissements
secondaires du pays. Cela devait être vrai, vu l’attrait qu’il avait : on
y retrouvait souvent des enfants de hauts cadres et de plusieurs dignitaires du
pays, et beaucoup d’entre eux avaient pris pour habitude de snober ceux qui,
comme moi, n’étaient là que par le mérite, et non par le prestige du nom de
leurs parents. Ce fut une des premières fois où cette fameuse question, « tu
es quoi ? », me choqua particulièrement. Ce ne fut, en réalité, pas
la question en elle-même qui posa problème, mais les conséquences qui
découlèrent de ma réponse. J’étais en classe de quatrième, et il faut dire que
j’aimais bien flirter, au lycée. En début d’année, j’avais sympathisé avec une
collègue de classe qui me trouvait sûrement à son gout. Sauf qu’un jour, elle
me posa la question : « Mais, Engo, c’est étrange, tu n’as pas d’accent
particulier. Tu es quoi en fait ? » Lorsque je lui donnai mon ethnie,
elle me regarda d’un air étrange, puis, au bout de quelques jours, ne me trouva
plus du tout à son gout ! Je compris un peu plus tard qu’elle avait, en
réalité, un grand mépris pour les gens de mon ethnie. Au fil du temps, je finis
par vraiment détester cette question parce qu’elle est souvent motivée, au
Gabon, par des clivages et des préjugés qui, une fois la réponse donnée, s’imposent
sans difficultés. Ainsi, par exemple, si un policier, d’une autre ethnie que
vous, vous demande vos papiers et que vous les avez accidentellement oublié
chez vous, il risque de vous sortir une remarque telle que : « vous
êtes comme ça, vous les Fang, toujours sans papiers, comme vos cousins Equatos
(Équato-guinéens) ». Pour rappelle, il y a plus de cinquante ethnies
répertoriées dans mon pays, alors imaginez l’innombrable quantité de préjugés d’origine
ethnique qui peuvent y exister ! Il faut quand même dire que malgré toutes
ces considérations, les Gabonais vivent chez eux dans un semblant d’harmonie. Ils
se supportent les uns les autres, et restent souvent regroupés par ethnies, ne
se mêlant vraiment que quand la nécessité l’impose. Je crois que c’est cette
hypocrisie positive que l’ancien président,
Omar Bongo, appelait la « tolérance ». Chose à encourager, je
le concède. Mais ce que je trouve étrange, et même rageant, c’est que ce genre
de mentalités moyenâgeuses se retrouve hors de nos frontières.
C’est le triste constat que j’ai
relevé durant mon séjour ici, en Afrique de l’Ouest. Déjà, ce qui est évident,
c’est que lorsque vous êtes dans un pays autre que le votre, les habitants de
celui-ci, de par votre comportement, votre aspect, votre expression et bien d’autres
choses encore, repèrent très vite que vous êtes étranger. Et souvent, ils s’empressent
de vous poser la question : « alors, toi tu es quoi ? »
C’est bien naturel, me direz-vous, cela leur permet de découvrir des ressortissants
de pays qu’ils n’ont jamais visités. Vous mettrez surement cela sur le naïf
compte de la curiosité… Si seulement c’tait le cas ! Parce qu’en général, il
n’y a que deux situations pour lesquelles on vous posera systématiquement la
question de savoir « ce » que vous êtes : soit dans une relation
commerciale, soit dans une situation conflictuelle.
Dans le premier cas, je crois que
beaucoup pourront me témoigner : vous arrivez dans un marché, à Colobane,
à Dakar, ou à Coulikoro, à Bamako, et vous voulez acheter un article. Souvent,
dès que le commerçant constate que vous ne parler pas la langue populaire
locale, le prix de l’article grimpe relativement. Ensuite, en tentant de vous
prendre par les sentiments, il vous demande « tu es quoi même ? »
Selon la réponse à votre question, le prix de votre article peut doubler de
moitié, ou voir même tripler ! Je me rappelle de ce type, à Bamako, qui
voulait me vendre des sandales en cuir à sept mille francs, alors qu’elles
coutaient normalement trois mille, et qui, la minute d’après, lançait, tout
souriant, à un touriste blanc : « vingt-cinq mille francs seulement,
grand » ! S’il arrive que vous connaissiez quelques mots de la langue
locale, vous pourrez négocier un prix quelque peu raisonnable. Mais ne vous y
trompez pas : ce sera « votre prix » à vous !
Dans le second cas, il faut bien
comprendre ce que j’entends par situation conflictuelle : cela peut être
un conflit, au sens propre du terme, ou une position qui ne vous est pas, de
fait, favorable. Ainsi, que vous ayez un différent avec votre propriétaire ou
que vous fassiez la cour à une jeune femme du pays, la question arrivera
automatiquement ! Parce que, dans un cas comme dans l’autre, on se servira
de cette information pour vous ranger dans une catégorie. Combien de fois n’ai-je
pas entendu de la bouche de jeunes Sénégalaises : « Vous, les Gabonais,
vous êtes des alcooliques et des coureurs de jupon ! », ou encore
certains de mon quartier qui disaient, en me voyant passer avec ma bouteille de
jus : « ils ont trop d’argent, les jeunes Gabonais… » Ce
genre de jugements font qu’à chaque fois qu’on me pose la question, je réponds
que je suis Africain. Encore que je
ne peux pas le dire à tous.
Il y a des comportements qui
restent encrés en vous quoi que vous fassiez, où que vous alliez. Et je trouve
vraiment déplorable que la stigmatisation en fasse partie. Parce que je ne
comprends pas pourquoi, un Gabonais comme moi, qui vit au Sénégal, comme moi,
me demanderait « ce » que je suis, c’est-à-dire, quelle est mon
ethnie, si ce n’est pour me ranger dans la catégorie primitivement ennemie, si
je ne suis pas Fang, Punu, Obamba, Vili… comme lui ! C’est d’ailleurs une
des raisons pour lesquelles, choses très étrange, les Gabonais s’évitent ici à
Dakar. Ça me fait toujours rigoler d’en croiser un dans une file au magasin, ou
même dans la rue, et de voir le regard méprisant qu’il me jette, sachant bien
que je suis originaire du même pays que lui. Même à l’Ambassade, c’est à peine
si les gens se saluent ! Sans compter qu’ils ont trouvé le moyen de se
défaire de leur « tolérance », d’une part, parce qu’ils ne sont plus
contraints de se côtoyer, d’autre part, parce qu’ils ont eu la brillante idée de
se diviser et de ne se retrouver qu’entre originaires de la même ethnie. Ce qu’ils
appellent des associations socioculturelles : Elatmeyong, pour les Fang,
Olatano, pour les Myenè, Nyangou, pour les Punu et tous ceux qui leurs sont
proches… bien évidement, ils vous diront que c’est pour mieux promouvoir leur
identité culturelle, comme si celle-ci ne faisait pas partie intégrante de
celle de tout le pays ! Je me demande vraiment quel est mon intérêt à me
retrouver dans un quelconque groupe qui prône le clivage ethnique, au lieu que
je suis à l’étranger et que j’ai besoin d’apprendre de la diversité qui m’entoure.
Et j’en suis arrivé à cette remarque : depuis que je suis en Afrique de l’Ouest,
il n’y a que dans la communauté gabonaise que j’ai vu ce genre d’associations. J’ai
longtemps fréquenté les Congolais, et jusqu’à lors, je n’ai jamais entendu parler
d’association de Mboshi, de Lari ou de Téké. Dans les autres communautés
estudiantines, on retrouve des ressortissants de pays à plusieurs ethnies,
comme un peu partout en Afrique, mais vraiment, jamais je n’ai vu les
ressortissants de ses pays se regrouper selon leurs origines ethniques. D’ailleurs,
je comprends pourquoi mes cousins Fang du Cameroun, qui résident ici à Dakar,
refusent de faire partie d’Elatmeyong, association sensée rassembler les Fang
du Gabon, du Cameroun et de la Guinée-Equatoriale. Le faire dans votre pays d’origine,
cela se comprend encore, mais dans un pays étranger, où vous n’êtes que de
passage, pour la plupart, quelle utilité ?
Parce que, je comprends bien,
moi, lorsqu’un Sénégalais demande à son compatriote de quel ethnie il est
(étrangement, il ne lui demande pas « ce » qu’il est, mais juste s’il
est Wolof, Peul, Serere…). Ici, ce n’est pas tant par volonté de le catégoriser
pour le juger, mais plus souvent pour rappeler les liens ancestraux qui lient
leurs ethnies. Ainsi, vous entendrez un dire à l’autre qu’il doit le servir
parce que ses ancêtres étaient les maitres des siens, par exemple, et ce,
toujours dans un esprit de rassemblement et de fraternité. Je ne me souviens
pas avoir vu de querelle entre deux Sénégalais du fait de leurs origines
ethniques. Choses qui étaient plus que courante dans mon quartier, à
Libreville. Et même : à chaque fois que j’ai entendu qu’il y a eu litige
entre Gabonais ici, à Dakar, les considérations ethniques ont, bien souvent,
refait surface.
Alors, je voudrais vraiment ne
plus avoir à répondre à cette question : « tu es quoi ? »,
surtout venant d’un de mes compatriotes ! Il ne s’agit pas pour moi de
nier, ou de cacher mes origines, qui font MA différence, mais de tenter de les
dépasser. D’ « adoucir les aires de différences et d’accentuer les
aires communes », comme le disait un illustre penseur noir du siècle
dernier, outre-Atlantique. Autant sur le plan national que continental. D’ailleurs,
si vous remarquez bien, pour ceux qui suivent un peu les informations qui
viennent d’Occident, ou qui y vivent, généralement, que ce soit en Europe, en
Amérique ou en Asie, les gens et les gouvernements font rarement la distinction
entre les pays d’Afrique. Souvent, ils coupent court : l’Afrique. « Tu
viens d’Afrique… », « Quelque part en Afrique… », « …d’origine
africaine », comme si, pour eux, l’Afrique n’était pas un continent, un
ensemble de pays, mais plutôt un pays en elle-même ! Avant, je trouvais
cela complètement idiot et pensais que c’était une marque d’ignorance de ceux
qui s’expriment ainsi. Puis, je me suis rendu compte qu’en réalité, tous ceux
qui s’expriment ainsi, eux, considèrent (sans le savoir) justement l’Afrique comme
ce qu’elle devrait être : un seul pays ! Un pays de près de 1,1
milliards d’habitants, riche de tous les types de climats, de végétations et de
reliefs au monde ! Un pays dont le sous-sol serait le plus nanti au monde
en matières premières, et dont la vaste diversité des peuples ne pourrait
engendrer que les meilleurs dans tous les domaines possibles ! J’ai fini
par me dire qu’au lieu d’apprendre à nous enfants et à nos jeunes à montrer du
doigt ceux qui sont différents, parce qu’étrangers, nous devrions plutôt leurs
apprendre à voir les avantages de ces
différences pour en faire un atout commun, et non une source de stigmatisation.
Parce que si vous me demandez :
« tu es quoi ? », je vous répondrai qu’Engo, je suis un noir,
Africain, d’Afrique Centrale, originaire du Gabon, que mon père est d’Oyem, et
que donc, je suis d’Oyem, que je suis de la tribu Nkodjè, du vilage d’Adzap, du
clan N’deng, petit-fils d’Engoh Ndong, descendant de Ndong Guema Essono, mais
que je suis, avant tout cela, un Être humain ! Une pièce du Puzzle géant
qu’est l’Humanité !
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