Immigration : Respect pour ceux qui ne reviendront jamais
Bonjour
les Êtres humains !
Ce samedi
20 Juin, le monde célèbre la journée mondiale des réfugiés.
Encore que, célébrer, c'est un bien grand mot, vue la situation
mondiale actuelle. C'est tout de même étrange : les Africains
transhument vers l'Europe depuis l'apparition de l'homme sur terre,
puisque celui-ci voit la vie sur le continent, d'où il peuple le
reste du globe, mais depuis le début de cette année 2015, il semble
que le monde vienne de découvrir que des milliers de jeunes perdent
la vie dans le désert et en pleine méditerranée, en voulant gagner
le vieux continent.
source: http://www.la-croix.com |
Je n'ai
pas ici l'intention de faire le procès de ceux qui sont candidats à
l'émigration. Ils ont leurs raisons, qui, pour eux, doivent être
les plus importantes. Entre ceux qui fuient les conflits, ceux qui
veulent échapper aux politiques et aux gouvernements dictatoriaux,
ceux qui espèrent de meilleures conditions de vie, et ceux qui
rêvent juste de ce qu'on appelle couramment ici le « mythe de
l'Europe », les motivations ne manquent pas, et chacun de ceux
qui partent sont, j'en suis sûr, capables de défendre les leurs.
Je n'ai
pas, non plus, l'intention de montrer du doigt les comportements
irresponsables, d'une part, de l'Union Européenne, qui n'arrive pas
à prendre une décision concrète et consensuelle pour la prise en
charge de ceux qui affluent à ses frontières, et de l'Union
Africaine, d'autre part, qui brille dans le firmament de
l'indifférence par le silence, voir le mutisme dans lequel cette
institution s'est murée depuis plus de six mois, pour ne pas dire,
depuis toujours, face au véritable génocide qui a lieu entre le
désert du Sahara et le détroit de Gibraltar.
Ce dont
je voudrais parler ici aujourd'hui, c'est du courage de ces hommes et
femmes qui partent. Du courage, oui, car, en ces années où les
informations sont mondialisées et disponibles pour tous, je me dis
qu'il faut une poigne de courage pour décider à partir à
l'aventure en sachant, ou du moins, en ayant une idée de tous les
risques que ce départ comporte. Ces risques sont divers, d'ampleur
variée et se situent à toutes les étapes du voyage. Il y a, tout
d'abord, ceux qui menacent les futurs migrants avant même que
ceux-ci n'aient pris le départ. Imaginez-vous comment peut vivre un
jeune Dakarois qui a décidé de partir. Il doit craindre les
jugements de ces pairs, les refus et mêmes les remontrances des
membres de sa famille, les moqueries des amis... bref, il devient
bien souvent l'objet d'une stigmatisation qui ne peut être évitée
qu'en cachant ses intentions à tous et en vivant donc dans le
mensonge jusqu'au jour du départ.
Après ce
fameux jour de départ, les risques ne se dissipent pas. Au
contraire, ils semblent se multiplier. Il y a, bien sûr, ceux liés
à la santé : se lancer dans la traversée du plus grand désert
du monde n'est pas un périple de tout repos pour l'organisme, même
pour celui qui est bien préparé à cette épreuve. Ensuite, il y a
les risques financiers : la plupart du temps, il faut payer une
certaine somme à des guides qui conduisent les migrants à travers
le Sahara, avant que ceux-ci n'arrivent sur les bords de la
méditerranée. Multiples sont les histoires de personnes qui se sont
faites, soit arnaquer, soit même voler par ceux qui devaient les
conduire à destination. Sans compter qu'il faut traverser plusieurs
frontières, avec tous les dangers que cela comporte. Je suis juste
hors de moi lorsque j'entends les récits sur les traitements
inhumains que certains Libyens font subir aux migrants noirs qui
transitent par leur... Je ne sais pas trop comment appeler cela..
pays ! Entre les sévices corporels, l'exploitation et la
confiscation des papiers, je me demande comment on peut appeler ces
actes, si ce n'est de l'esclavage moderne. Il y a aussi, durant cette
traversée du désert, le risque de tomber sur un quelconque groupe
sectaire de terroristes (AQMI, Azawad, Shebab, et j'en passe). Il y
a, enfin, toujours à cette étape de la traversée du désert, les
risques liés à ce qui peut être une véritable remontée du
continent, pour ceux qui viennent expressément des régions plus
centrales de l'Afrique. Je pense à ces dizaines de Camerounais qui
traînaient déjà durant des années à Bamako, quand j'y vivais, en
attendant de trouver une opportunité de départ. Je n'imagine pas
assez leur frustration de partir un matin de chez eux en espérant
gagner l'Espagne ou l'Italie et se retrouver coincé, en transit
durant des années, dans un autre pays africain, dans les mêmes
conditions de vie difficiles qui les ont emmenés à partir, et
parfois même, dans de pires conditions que celles qu'ils vivaient
chez eux. Beaucoup se retrouvent bien vite sans le sous et sans
papiers dans un pays qu'ils devaient juste traverser. Maintenant que
j'y pense, je comprends mieux la situation de tous ces jeunes
Libériens, Camerounais, Nigérians, Ghanéens, et d'autres
communautés, que j'ai tant croisé depuis que je vis en Afrique de
l'Ouest, et qui vous donnent toujours l'impression de ne pas être là
pour des études ou pour le travail, ni non plus pour le tourisme.
Ces jeunes qui sont toujours en quête d'on ne sait pas trop quoi,
mais qui semblent très motivés à vite gagner quelques millions de
francs CFA, pour on ne sait jamais quel grand projet. Mais là n'est
pas le sujet du jour.
Des
risques, il y en a encore plus après la traverser du désert. Car, à
l'arrivée sur les côtes africaines de la méditerranée, il faut
trouver une pirogue, un bateau, une chaloupe... bref, de quoi
naviguer pour la traversée. Je me suis souvent demandé comment font
ceux qui viennent de pays enclavés comme le Niger ou le Mali, et qui
n'ont jamais, ne fusse qu’aperçu la mer, face au défi de braver
les eaux marines. Je ne sais pas pour vous, mais je suis persuadé
qu'il faut une bonne dose de courage et surtout de détermination !
Quand je pense qu'il y en a qui tentent l'aventure avec des enfants !
Un des autres risques de cette étape de la traversée est la bonne
foi de ceux qui servent de passeurs. S'ils en ont une... Parce
qu'entre ceux qui vous escroquent et ne vous font jamais voir le
ponton, voir le fond d'une « piroguette », et ceux qui
sont près à vous jeter à l'eau, en haute mer, juste pour leurs
intérêts, il faut être vraiment à bout, et se dire qu'il n'y a
plus, dans la vie, aucune autre solution que de confier son existence
à ce genre de personnes. Mais s'il y a une chose qui me terrifie
plus que tous les risques que courent ceux qui veulent gagner
l'Europe par la mer, c'est justement cette dernière. Comment
supporte-t-on de vivre des jours et des nuits entières en pleine
mer, avec rien à l'horizon, rien à manger et à boire, dans
l'impossibilité de dormir... Comment fait-on pour passer une nuit
« normale » lorsque qu'au milieu d'une nuit noire, on ne
peut même pas apercevoir le bout du nez de son voisin ?
Enfin,
pour ceux qui ont la chance d'atteindre les côtes européennes, ce
n'est pas la fin du cauchemar. Parce que débarquer d'une pirogue
dans un pays où l'on ne veut pas de vous et l'on ne sait quoi faire
de vous, ce n'est sûrement pas la joie ! Il y a dors et déjà,
en premier lieu, le risque d'être directement refouler et renvoyé
chez vous et d'avoir fait tout ce trajet pour rien ! Il y a
aussi les conditions dans lesquelles ces migrants sont accueillis.
Entassés dans des camps de fortune, comme des troupeaux, et traités
comme une gangrène qu'on tente à tous prix d'éloigner des
populations locales, les migrants sont mêmes vus par certains comme
une « grosse fuite d'eau » ! Pour beaucoup, le
rapatriement est la seule solution pour ces personnes. D'autres
s'insurgent contre l'idée de quotas d’accueil pour les pays
membres de l'Union, tandis que d'autres encore parlent de risque
« d'appel d'air », comme si tous les Africains avaient
l'intention de quitter le continent et de le laisser complètement
vide pour se réfugier en Europe. Enfin, pour les quelques rares qui
survivent à toute cette aventure et arrivent à obtenir un
quelconque papier leur permettant de vivre sur le vieux continent, il
faut se demander ce qu'ils y font. Vivent-ils vraiment la vie pour
laquelle il ont fait tout ce voyage ? Ont-ils bravé autant
d'obstacles et de dangers juste pour traîner à mendier dans les
rues de Paris, Madrid ou Londres ? Tous ces millions de franc
CFA perdus en frais de passage et autres juste pour quelques
centaines d'euros comme magasinier ou planchiste ? Toute cette
énergie dépensée, pour n'être vu que comme un être envahissant,
voir un parasite sur la terre qu'on a tant souhaité fouler ?
Voilà bien pour moi le risque le plus élevé : celui d'arriver
en Europe et de continuer à vivre la misère, la pauvreté,
l'angoisse, la haine, la stigmatisation et tous ces maux qu'on a
tellement voulu fuir...
Alors,
compte tenu de tous ces risques que nous venons de passer en revu,
j'aimerais sincèrement saluer le courage de ceux qui prennent la
décision de partir. Car, je suis persuadé que personne ne prend
cette décision sans avoir sous-pesé ces risques, sans au moins les
avoir envisagés. Je leur tire mon chapeau parce que, quoi qu'on
dise, il n'est jamais facile de prendre une décision. Certains le
font plus aisément parce que conduits par leurs motivations ou
contraints par la guerre ou la famine ou les pressions politiques.
Mais, à votre avis, parmi tous ceux qui vivent dans ces mêmes
conditions difficiles en Afrique, quelle est la véritable proportion
de ceux qui prennent la décision de partir pour changer leur
existence ? Car, au fond, c'est bien ce qu'ils cherchent :
un moyen de changer leur vie. À votre avis, quelle est la proportion
de ceux qui, eux, restent à vivre dans ces conditions ? Et
surtout, que font ces derniers pour, eux aussi, tenter d'améliorer
leur conditions de vie ? Bien souvent, pas grand-chose... La
plupart s'agrippent à un fallacieux déterminisme qui prône à tort
que comme on est né en Afrique, on a été condamné à vivre dans
la pauvreté et la misère et qu'on n'y peut rien ! Je trouve
que ceux qui prennent la décision de partir ont au moins le mérite
de vouloir donner une autre orientation à leur vie. Ils ont au moins
le courage de faire quelque chose pour cela. Ils ne restent pas assis
à attendre qu'un jour il fasse mieux vivre, non ! Ils vont à
la recherche de ce mieux vivre, même si, souvent, ils courent
derrières des sirènes... La personnalité se mesure à la
capacité à prendre des décisions au moment où tout est perdu,
ai-je entendu récemment.
Ce qui
m'impressionne le plus,c'est la détermination qui accompagne souvent
cette décision. Parce qu'avec tous les risques qu'on a vu plus haut,
toutes les tentatives extérieures de découragement, tous les
obstacles, familiaux, amicaux, financiers, géographiques, physiques,
qui jalonnent le parcours du migrant, celui-ci, arrive à franchir
chaque étape, jusqu'à ce retrouver un jour déguerpi d'un camp de
clandestins sous un pont de Paris... je me suis dis, en suivant les
informations sur le sujet ces derniers jours, que les personnes qui
croisent ces migrants dans les rues de leurs belles villes
occidentales devraient se montrer plus respectueux envers ces
personnes qui ont dû faire preuve de courage, de détermination et
d'abnégation pour en arriver là, au lieu de les traiter avec
mépris. Parce que si on le demandait, même sous la contrainte, une
grande partie d'entre nous n'aurait pas pu survivre à un tel
périple. Essayez de vous imaginer un instant que vous avez le projet
de matérialiser un désir, que vous concevez un plan pour y arriver,
que vous vous donnez les moyens d'atteindre votre objectif et que,
après de très longs et coûteux efforts, sur tous les plans, vous
atteigniez enfin votre but et que, juste après avoir passé la ligne
d'arrivée, un policier venait vous dire « Monsieur, on doit
vous déguerpir de là... » Je me demande comment chacun se
sentirait. Moi, je vous dirait « Bravo, vous avez réussi à
matérialiser un désir, chose dont beaucoup d'entre nous ne sont pas
capables ! »
Je dirais
aussi Bravo à ceux qui, ayant pris la décision de partir, et face
aux difficultés du trajet ou à leurs faiblesses, décident de
rebrousser chemin. Ceux-là sont, pour moi, parmi les plus courageux,
car, il faut du cran pour prendre une décision, mais il en faut
encore plus pour reconnaître qu'on s'est trompé et revenir sur
celle-ci. Ce qui est triste, c'est que l'expérience de ces derniers
ne serve pas assez pour faire comprendre à ceux qui sont plus jeunes
que cela ne vaut pas tant la peine de partir et qu'il y a d'autres
façons moins radicales et aussi moins périlleuses de tenter de
changer son existence.
Pour
terminer, en cette journée spécialement dédiés aux réfugiés, je
voudrais saluer avec un profond respect ceux qui sont partis un jour,
qui ne sont jamais arrivés, et qui ne reviendrons jamais.
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