On va encore faire comment ?




Bonjour les Êtres humains !



Il y a des mots, des phrases, des expressions que vous entendez souvent autour de vous et qui, au fil du temps, finissent par devenir, pour ceux qui les utilisent, ou même qui se les entendent répéter tous les jours, une sorte de vérité absolue, telles des mantras. De celles que mes oreilles ne peuvent vraiment pas souffrir d’entendre, il y en a une qui est très célèbre dans mon pays d’origine, le Gabon. Il s’agit de l’expression : « on va encore faire comment ? »

Elle est employée dans tellement de situations, de contextes, pour tant de motifs et de raisons, que j’ai fini par me demander quelle est vraiment la signification de ces quelques mots. Qu’impliquent-ils dans la tête de celui qui les prononce ? Et pour celui qui les entend ?



Il est des situations dans lesquelles vous êtes sûrs que vous ne pouvez pas y échapper. Lorsqu’on me raconte que dans une capitale où il suffisait de cent francs CFA pour se déplacer il y a à peine dix ans, prendre le taxi est devenu un vrai calvaire, car il faut proposer aux chauffeurs au moins mille francs pour une distance qui vous prendrait trente minutes à pieds, je me demande ce qui se passe. Pourquoi les choses en sont arrivées là ? Pourquoi des populations qui n’ont déjà pas grand-chose en poches, doivent se créer des budgets « taxi » aussi conséquents que ce qu’ils doivent consacrer pour certaines factures ? Et presque comme toujours, on me jette à la figure un « on va encore faire comment ? »

Quand des milliers de familles passent des mois sans voir une goutte d’eau couler à leurs robinets, que les gens sont contraints de faire le tour de la ville à la recherche d’une ressource aussi abondante que l’eau, dans un pays avec un bassin hydrographique aussi vaste que le Gabon, et que vous demandez comment ce genre d’aberrations peuvent exister, vous êtes sûrs de recevoir un « on va encore faire comment ? » à la figure.

C’est aussi la même réponse que vous recevrez si vous demandez pourquoi des jeunes fraichement diplômés, en quête d’un emploi, sont encore obligés, en 2015, de se faire « pistonner », c’est-à-dire, systématiquement recommander par un parent influent du système ; sont contraints de rejoindre des mouvements, soit politiques, soit mystico-ésotériques, ou sont même obligés de payer un « droit de cuissage » (les hommes comme les femmes !), pour pouvoir s’assurer un poste pour lequel ils ne doivent faire que ce que leurs imposent ceux qui ont « bien voulu » le leur offrir. « On va encore faire comment, mon petit ? C’est le système qui est comme ça ! » C’est, dans plus de 90 pour cent des cas, la réponse qu’on vous donnera si vous posez ce genre de questions.  

C’est le système qui est comme ça ? Mais pourquoi acceptons-nous un tel système ? Pourquoi laissons-nous le « système » nous traiter ainsi ? Pourquoi ? À mon avis, il n’y a qu’une raison pour laquelle on accepte toutes ces choses et que l’on croit, que l’on prétend qu’il n’y a rien d’autre à faire : c’est juste de la lâcheté.

Il n’y a vraiment rien qu’on puisse faire lorsque le prix du transport augmente de 100% dans un pays ? Je me remémore souvent une anecdote qui m’a souvent fait réfléchir : il est étonnant de voir, dans l’histoire récente, comment a réagi le peuple français à chaque tentative d’augmentation du prix de la baguette de pain. Ça a toujours été un évènement national, qui soulevait les réactions de toutes les couches de la société, en passant du simple consommateur aux élus nationaux, et le débat passait même jusqu’au palais de l’Élysée. Vous me direz que l’Afrique n’est pas la France, que les mentalités, les réglementations, les institutions ne sont pas les mêmes, certes. Mais, au fond, ce sont des Êtres humains qui sont les victimes. Ce sont des Êtres humains qui prennent aussi des décisions, qui posent des actes, qui font ce qui est en leur pouvoir, et même au de-là, pour que tout le monde puisse vivre décemment.

Il y a quelques jours, je parlais des conditions de recrutements et d’emploi des jeunes dans mon pays d’origine avec quelques amis. Lorsque je demandai comment un homme peut accepter d’être pris par un autre homme dans une chambre d’hôtel, au lieu qu’il a une femme et des enfants, sous prétexte que s’il ne le fait pas, il perdra son boulot, quelqu’un m’a répondu : « il faut bien qu’il nourrisse sa famille ! » Alors, il n’a pas le choix ! Il ne peut donc rien faire d’autre que subir de telles humiliations, se prostituer, pour nourrir sa famille ? Il ne peut rien faire d’autre qu’aller assister à des séances de spiritisme d’une obédience dont il ne connait, ni les véritables raisons d’être, ni les objectifs ? Il n’a d’autre choix que de faire l’apologie d’un parti politique quelconque, dont, en général, il ne sait ni les idéaux, ni la philosophie ? Parce que c’est le « système » qui en est ainsi ?

Pourtant, un système, ça se change ! Et ce ne sont pas les moyens pour le faire qui manquent ! Ni les exemples. Il suffit de voir ce qui se passe dans le monde c’est dernière années pour être inspirer. Il suffit de jeter un coup d’œil aux dernières élections présidentielles sénégalaises, à celles qui ont eu lieu récemment au Nigeria. J’entends déjà les voix qui se lèvent pour me dire : « mais Engo, ce ne sont pas les mêmes contextes politiques ? Ces deux pays ont une certaine maturité en matière de démocratie ! » Je l’entends bien. Pourtant,  Blaise Compaoré n’est plus à la tête du Burkina Faso. Où sont les Ben Ali, et autres Moubarak ? Les peuples qui les ont fait tombé, qui ont décidé qu’ils ne voulaient plus de leurs « systèmes », auraient pu, eux aussi, se dire qu’ils n’ont pas le choix ! Qu’ils vont encore faire comment ? Regardez ce qui se passe au Burundi : ce peuple brave est en train d’user de tous les moyens qu’il peut employer pour ne pas continuer à accepter un système qu’il ne supporte plus ! Chaque jour, il y a des hommes et des femmes qu’on enterre à Bujumbura et dans les régions du pays, juste parce qu’un Être humain a décidé que c’est lui et lui seul qui mérite de diriger cette nation. Il y a des opposants qui meurent, des membres du parti au pouvoir qui sont assassinés, un coup d’état a déjà échouer, et je suis d’avis qu’il y aura d’autres tentatives.


Loin de moi l’idée de prôner la violence, de dire qu’il faut prendre les armes pour ne plus avoir à dire « on va encore faire comment ? » Ce que j’aimerais que vous notiez, c’est la détermination dont fait preuve ce peuple qui n’est pourtant pas le plus « modernisé », le plus « civilisé », d’Afrique. Ces hommes, femmes, vieux et jeunes, sont déterminés à ne pas baisser les bras tant qu’ils ne pourront pas avoir l’opportunité de faire autrement, de vivre autrement, d’être dirigé autrement. Quel qu’en soit le prix à payer. Eux au moins, ils ont compris qu’il n’y a pas de situation dans ce monde dans laquelle on n’a pas le choix. Cela est tout simplement impossible. On a toujours le choix, on a toujours une autre option, une autre voie à suivre, une autre manière de faire, que celle qu’on est contraint de subir. Il y a une chose qui m’amuse parfois lorsque je discute avec mes frères originaires du Congo Brazzaville. Ils sont souvent très étonnés de la liberté d’expression qui existe au Sénégal en matière de politique. Ils disent  presque tous la même chose : « les Sénégalais se permettent de critiquer ouvertement leur président à la télévision, à la radio, dans la presse écrite, sur internet… Chez nous, si tu oses dire une critique contre le président, tu vas te faire ramasser et torturer par les forces de l’ordre ». Vous savez ce qui me désole le plus ? C’est que, pour eux, les Congolais sont respectueux de leur président, et n’en disent pas de mal, tandis que le peuple sénégalais, par ses critiques, ne montre aucun respect pour l’institution qu’est le président de la République. Voyez où conduisent des expressions comme « on va encore faire comment ? » et les attitudes qu’elles traduisent : à croire que la dictature (car c’est bien de dictature qu’il s’agit lorsque le peuple ne peut pas dire à celui qu’il est censé avoir élu qu’il agit mal) est la normalité et que l’accepter est une preuve de respect.

Chaque matin, vous ouvrez les yeux sur votre lit, et là, vous avez le choix : vous pouvez rester au lit, continuer à dormir tranquillement, ou vous lever et aller affronter cette nouvelle journée. Vous avez le choix entre rester vautrer dans votre canapé ou aller travailler pour rapporter à manger à la maison. Vous avez le choix entre tellement de choses importantes dont dépend votre vie ! Pourquoi ne voulez-vous pas choisir entre celles que l’on veut vous imposer et celles auxquelles vous aspirez ? Pourquoi dire « oui » quand vous pensez « non » ? Pourquoi acceptez-vous ce qui ne vous  arrange pas ? Pourquoi acceptez-vous des situations qui ne vous apportent rien de positif ? Pourquoi subissez-vous des conditions de travail qui ne vous satisfont pas ? Les étudiants originaires d’Afrique Centrale qui vivent à Dakar sont souvent surpris la première fois qu’ils sont confrontés aux force de l’ordre sénégalaises : ils s’attendent, lors d’une interpellation, à du mépris, des insultes, des gifles, des coups de pieds et toutes ces autres formes d’abus qu’ils se disent contraints d’accepter chez eux. Alors, moi je leur demande souvent : croyez-vous vraiment qu’il y a quelque chose qui fait qu’un policier sénégalais n’a pas le droit de porter la main sur vous, et qu’un policier camerounais ou gabonais le fasse sans être inquiété ? Ces policiers ne sont-ils pas des Êtres humains comme vous ? Et vous, vous considérez-vous avoir moins de droits à l’étranger que dans votre propre pays ? N’êtes-vous pas le même Être humain, qui mérite d’être traité avec une dignité égale, quel que soit l’endroit où il se trouve ?



 « On va encre faire comment ? » On sait exactement comment faire autrement. On sait même très souvent ce qu’il faut faire autrement. Reste à avoir la volonté de faire autrement. Reste à avoir le courage de se lever et d’agir autrement. Reste, surtout, à avoir la détermination de faire autrement, quoi qu’il en coûte. Pour ceux qui veulent bien faire autrement, je ne peux que les encourager et leur rappeler que l’histoire a souvent montré que, lorsqu’on a la vérité de son côté, on finit toujours par avoir raison. Alors, levez-vous, bougez-vous, agissez, mais faites-le véritablement, vivez-le !

Commentaires

Les plus lus

Pantalon "taille-basse", pour qui et pourquoi?

Un quartier sous les déchets

Musique et nuisances sonores, tapages nocturnes et autres désagréments

Temps pluvieux et orageux à Dakar

Lettre à André