Bienvenue chez moi !




Bonjour les Êtres humains !

La famille ! Pour moi, et j’espère pour la plupart d’entre vous, il n’y a rien de plus important que la famille. Et lorsqu’on a passé des années loin d’elle, les retrouvailles vous font quelques fois perdre vos habitudes. C’est ce qui m’est arrivé ce mois de septembre. En effet, après plus de cinq ans passés à Dakar, j’ai pris l’avion pour Libreville, ma ville natale. Point besoin de vous dire combien de fois le voyage a été excitant, la séparation avec mes proches de Dakar difficile (bien que je ne parte que pour un trimestre), et les retrouvailles avec ma famille chaleureuse !

Après mon arrivée à Libreville, il y a quelques semaines, je m’étais dit que j’allais me donner quelques semaines, deux maxi, pour me faire une idée de la façon dont la vie, en générale, a évoluée dans la capitale gabonaise, avant de partager mes premières impressions avec vous. J’avais prévu de procéder comme l’avait fait mon collègue bloggeur et ami, Barack Mba – qui tient le blog dénommé Esprit Africain - c’est-à-dire, faire un tour de la ville et vous décrire les évolutions sur le plan urbain, au niveau des mentalités, de infrastructures, etc. Honnêtement, les aléas familiaux ne m’ont pas laissé le temps de m’offrir un tour de ville, comme je l’avais prévu. Mais il y a tant de choses à dire, à encourager, à dénoncer, à souligner, sur Libreville, qu’il me fallait vous partager les sensations, les impressions et les sentiments qui m’ont animés et qui m’animent toujours depuis que je suis revenu chez moi.

J’aimerais donc vous présenter, autant que je le pourrais, ce « chez moi ». J’aimerais particulièrement vous parler de mon quartier : Derrière l’École Normale Supérieure (Derrière l’ENS, pour les initiés). Il s’agit d’un vaste bidonville du premier arrondissement de la capitale gabonaise, enclavé entre l’Université Omar Bongo, l’École Normale Supérieure qu’il abrite, le quartier Derrière la prison, la favela voisine (ne me demandez surtout pas qui a baptisé les quartiers de Libreville !) et la voie expresse, une des principales artères de la ville.


Je connais les ruelles poussiéreuses de ce quartier depuis… toujours ! Elles ressemblent, encore aujourd’hui, à des champs de mines : on aurait dit que c’est seulement hier que sont passés les derniers engins des Travaux Publics, même si, en fait, c’était il y a 20 ans déjà.

Une ruelle de Derrière l'ENS


La majeure partie des habitations, qui étaient toutes en planches, il y a quelques années, sont aujourd’hui en briques (en dur, dit-on ici), bien qu’elles donnent toujours l’impression d’être bâties les unes sur ou à l’intérieur des autres. Les touffes de hautes herbes qui longent les quelques villas cachées derrière des barrières contrastent avec le champ de « cuvettes » de Canal Sat qui s’étale sur tout le quartier. Au « petit marché », le centre névralgique du coin, les cinq à six bistrots qui paraissent se suivre comme les doigts de la main n’arrêtent quasiment pas de brasser alcools, musiques assourdissantes et hommes et femmes éternellement assoiffés. Je pourrais passer l’année à vous décrire les « choses de Derrière l’ENS ». Mais, de toutes, il y en a trois qui m’ont particulièrement marquées depuis que je suis rentré. La première, c’est ce que certains jeunes inspirés du quartier ont appelés, « l’agressage ».

Vue partielle du ''champ de cuvettes''


Il y a quelques mois, la mairie de Libreville annonçait, effectivement, une campagne d’adressage : il s’agissait de donner des noms aux principales rues de Libreville et de d’attribuer des numéros aux habitations qui les bordent. Le hasard voulu que les agents de la municipalité affectés à cette tâche passent dans notre ruelle quelques jours après mon arrivée. Je ne suis pas urbaniste, loin de là, mais il y a quand même quelques éléments de leur travail qui ne nécessitent que la logique pour juger de son inefficacité. Parce que, de l’expérience que j’ai de villes qui possèdent un système d’adresses bien rodé, je crois que la numérotation des habitations devrait être faite de sorte que l’étranger qui arrive dans le quartier, et qui cherche une adresse, se réfère à l’ordre de numérotation des habitations. Je m’explique : dans mon autre quartier, à Dieupeul (Dakar), j’étais à la villa 2518. Celle-ci est suivie de la 2519 et précédée de la 2517. Dans d’autres cas, les maisons sont numérotés par des nombres paires, d’un côté de la voie, et les impairs, de l’autre côté. Dans tous les cas, celui qui cherche une adresse précise suit une certaine logique pour pouvoir la retrouver. Or, après le passage des agents de la mairie, notre maison s’est retrouvée avec le numéro 42, la suivante le 48, celle d’en face le 33, et celle qui la suit, le 65. Allez donc vous y retrouvez ! Sans compter que, pour certaines habitations, il suffit qu’elles aient deux entrées, voire même deux portes voisines, pour qu’elles se retrouvent avec deux numéros, à l’exemple de celle de mes voisins, qui porte, pour une de ses portes, le 48, et pour l’autre, le 56. Je ne parle même pas du fait qu’une grande partie des ruelles de Derrière l’ENS sont tout simplement des impasses. Preuve qu’aucun plan d’urbanisme n’a été au préalable envisagé. Je me demande juste pourquoi l’on peut gaspiller autant d’argent à une activité, certes louable, d’adressage, lorsque les habitations concernées ressemblent juste à des cases ou des abris de fortune ? Qu’en est-il du programme de construction de logements sociaux annoncé par les autorités il y a quelques années ? Comment peut-on donner une adresse, un numéro, à celui qui demande un logement décent ? N’existe-t-il pas une coordination entre le ministère de la planification, celui de l’urbanisme, et la mairie ? Ou seraient-ils, eux aussi, dans l’impasse ?

Rue ''Impasse''


Pour les habitants de mon quartier, cette problématique du logement n’est pas la seule impasse dans laquelle ils se trouvent. En effet, nous faisons face à un autre souci, aussi important, sinon plus, que celui de l’adressage des sans-logis. Il s’agit de la pénurie d’eau.

Le problème du manque d’eau dans notre quartier n’est pas un fait nouveau. Déjà, en 2009, avant mon départ pour Dakar, il fallait passer toute la journée sans eau et n’attendre que très tard dans la nuit (entre 2h et 4h du matin), pour voir une goutte tomber du robinet. L’année dernière, lors de la mise en place par les autorités de câblages souterrains pour le futur (mais toujours « futur » depuis plusieurs années) réseau de fibre optique, l’alimentation en eau du quartier fut tout simplement interrompue, m’a expliqué ma mère. Et cela dura plus de trois mois. Imaginez-vous tout un quartier sans eau pendant trois mois, en pleine année académique ! Mes parents, comme tous leurs voisins, étaient devenus des sortes de zombies qui devaient se lever tous les soirs, en plein milieu de la nuit pour aller chercher de l’eau dans les quartiers voisins, ou à l’Université Omar Bongo, qui jouissaient encore de la manne nocturne. Ce n’est qu’à partir du début de l’année en cours que les choses revinrent à la normale. Mais cela n’aura duré que quelques mois. C’est ainsi que, depuis le mois d’août, l’approvisionnement en eau du quartier est redevenu aléatoire. À certains endroits, ce n’est que très tôt le matin que vous avez droit à de l’eau, et pour deux ou trois heures. À d’autres, comme chez mes parents, il faut à nouveau se lever tard dans la nuit pour faire des réserves d’eau pour le lendemain. Ce qui est aberrant, c’est que la Société d’électricité et d’eau du Gabon (SEEG) reste parmi les premières entreprises du pays, avec des bénéfices toujours en forte croissance. C’est que si la prestation des services de celle-ci n’a pas arrêté de se dégrader au fil des ans, les factures, elles, sont restées inchangées. Un véritable casse-tête équatorial pour les populations ! Sans compter que, pour certains, il faut aussi tenir compte des innombrables fuites dans le réseau de distribution d’eau. Le seul avantage, si on peut le nommer ainsi, c’est que grâce à ces fuites que l’on retrouve dans tout le quartier, tout le monde sait quand il y a à nouveau de l’eau. Les myriades de points de ruissellements qui donnent au quartier, par moment, l’allure d’un delta, font souvent dire à ma mère : « bientôt, on verra des petits poissons barboter en plein milieu de la route… »

 
La troisième chose qui m’a le plus choqué, c’est le comportement des jeunes de mon quartier. Pour ceux de mon âge, il n’a pas beaucoup évolué : les rares qui font des études ou ont un vrai boulot sont toujours difficiles à voir, ce qui est normal, vues leurs occupations. Pour les autres, il suffit de faire un tour par les terrasses des bars du « petit marché » si vous en cherchez un. Les plus incroyables sont ceux qui jouent au « Songo », un jeu de société traditionnel proche du damier, à quelques pas de la maison de mes parents. Ils peuvent commencer à sept heures, avec quelques bouteilles de bières en mains, et ne se séparer que très tard dans la nuit. Tous les soirs, aux mêmes heures, ce sont toujours les mêmes visages que l’on retrouve attablés aux bars du petit marché. Toujours les mêmes jeunes qu’on entend discuter, souvent avec des hurlements, de sujets aussi divers qu’il y a de marques de bières dans le pays. Et très souvent, ces discussions se terminent en disputes qui, souvent aussi, virent aux affrontements au corps-à-corps. Tenez, dans la nuit de vendredi dernier, j’ai été réveillé aux environs de deux heures par des voix d’hommes qui s’élevaient non loin de ma chambre. Il était évident, de par les propos que s’échangeait le groupe de jeunes que j’ai pu distinguer avec un voisin, qu’ils étaient tous dans un état d’ébriété avancé. Savez-vous ce qui m’a réellement traumatisé dans cette échauffourée ? Ce sont les propos des différents protagonistes. Jugez par vous-même :

« _ Tu me connais ?

   _ Toi, tu me connais ?

   _ Moi je suis agent spécial de la police judiciaire, moi !

   _ Et moi, je n’ai rien à foutre de ce que tu es. Je suis B, fils de A ! Tu ne connais pas mon père ?

   _ Toi, tu connais mon père ? Mon père est président d’une grande institution en France !

   _ Et moi, mon père donne des cours dans une grande université aux USA…


C’est à cet instant précis que j’ai mis mon casque audio et augmenté au maximum le son de la musique que je venais de mettre pour me distraire un peu l’esprit. Je n’aurai pas supporté d’en entendre plus ! Si ces propos venaient d’élèves de maternelle, ou même de l’école primaire, passerait encore, mais de la part d’adultes, sûrement déjà pères de familles, c’est tout simplement intolérable ! En me recouchant, quelques heures plus tard, je me suis dit, en repensant aux rues « impasses » inondées de l’eau qui ne coule presque jamais au robinet, qu’en réalité, dans mon pays, c’est toute la société qui souffre d’une anarchie sclérosée à tous les étages : la municipalité, appuyée par le gouvernement, fait ce qu’elle veut de ses administrés, quitte à donner des adresses à ceux qui vivent dans des cabanes sur lesquelles elle a déjà fait noter : « à démolir » ; les compagnies privées font ce qui leur plait, à l’image de la Société d’énergie et d’eau du Gabon qui continue à engranger des millions de bénéfices tandis que des milliers de Librevillois, ses clients, ne peuvent pas avoir d’eau au robinet quand elles le désirent ; enfin, c’est une assourdissante cacophonie dans la tête de centaines de milliers de mes jeunes frères et sœurs qui passent leur vie à célébrer on ne sait trop bien quoi, en se reposant sur le travail de leurs parents pour se donner de la valeur. Et bien, c’est ça, CHEZ MOI ! 

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